Nouvelle n°2 : Revisite de la fable “L’Aigle et l’Escarbot” de Jean de La Fontaine
Abigaël.
Jeune demoiselle de la cour qui hasardait, privilégiant sa perfection pour se dévoyer. Comptentrice de la basse échelle qui souhaitait bannir les indigents.
Aigrefin de l’ombre du royaume, un couvre-chef de plumes alléguant sa suprématie. Des boucles d’or, ses sourcils abordant une expression déterminée. Visage qui pointe comme un dard, une peau opaline cachée sous une houppelande. Abigaël inspirait la dissension, traquant ses proies avec minutie.
L’affre émanait de sa voix transcendante. Des notes aiguës et frissonnantes qui n’épargnaient rien sur leurs passages. Un cri des cieux, un son venant des dieux. Elle était un devoir croyant pouvoir.
Dague dans sa douce paume, coulant de vermeil passé sans jamais entacher sa beauté. Diamant sanglant, aigle délayant.
Poursuite inlassable, déterminée à élever sa lame acérée.
Un homme. Être éphémère, entendu de corps, mais pas d’esprit. Quelqu’un qui se terre chez les autres pour préserver sa peau. Un meurtre de velours pour elle. Une cible aisée si cet autre hère ne s’était pas interposé. Bourru, suppliant un acte préparé d’être épargné.
Abigaël n’avait que faire de ces idioties. Elle ne faisait que faire ce pour quoi elle était née. Elle était le prédateur, celui qui régule les proies pour sa propre survie.
Alors, elle préleva. Elle emporta ce corps aussi fin qu’un lapin sous les protestations de cet opulent face d’escarbot qui lui jura de sa voix exécrable vengeance.
Aigle contre insecte, elle n’avait aucune crainte.
***
Tel un fil d’argent, le temps s’étira sans se couper. Se tordant, s’emmêlant, se tachant. Vagabondant par-dessus les minutes, les heures, les jours, le besoin de justice s’amplifia. Le petit homme, joufflu, mais pourtant bien agile, prépara silencieusement son plan. Touchant du bout du doigt le point d’attaque de cette femme rapace. Prouver qu’il ne suffisait pas d’avoir des ailes puissantes pour ne pas récolter la rafale de face. Il allait jouer avec la vie, avec ce qu’il y avait de précieux, comme elle.
La première année, il rependit le résiné dans le verre de ses représailles, empêchant une progéniture tout aussi coupable.
Encore. Encore. Trois fois d’affilée. De plus en plus mesquine, sa tuerie ne cessa pas. Abigaël tenta de lui échapper, mais elle ne faisait que voler avec une aile de plus en plus cassée. Année après année, il brisait ses espoirs, la chair de sa chair, rendant à la déesse de la persécution l’animosité qu’elle méritait.
Les plumes de sa coiffe se plièrent de désespoir tandis que sa carapace était impénétrable.
***
Cela suffit ! Abigaël était à bout. De quel droit ! Ses talons piqués le sol, mais son aiguille ne transperçaient jamais la chair de celui qui osait l’intimider.
Elle réclama justice ! Sa vie était dévouée à son roi, elle l’avait infiniment servi, il devait la secourir.
Alors, un tribunal fut porté. L’homme se présenta, fier et noble. Les ongles pourpres sous la blancheur de sa peau. Un insecte dans le monde des prédateurs, mais qui plaida ses actes.
Abigaël, trompète, joue de ses serres d’argents pour gagner la partie en menaçant. Lui rampe, la joue aussi finement qu’il l’a toujours fait. Il a eu ce qu’il désirait. Finis la fossoyeuse, il avait vengé son camarade.
***
Dépassé, un équilibre fut trouvé.
Naturellement, on éparpilla les deux adversaires pour que plus ils ne jouent avec la vie de l’autre.
Les œufs cassés devaient cesser et Abigaël dut s’avouer qu’il y avait toujours plus fort que sois, même quand on croit planer au sommet.
Quant à l’homme et sa carapace d’insecte, il dut admettre que la justice aura toujours raison sur la vengeance personnelle.
Ecrit en Avril 2021.