Quand tu franchiras le fleuve – Hippolyte Leuridan-Dusser – Gros caillou – Critique littéraire
[Masse critique babelio]
Introduction
À la frontière de votre humanité, de quel côté pencherez-vous ?
*
Avec une plume qui a du caractère et une enquête sombre, je vous présente aujourd’hui « Quand tu franchiras le fleuve » d’Hippolyte Leuridan-Dusser aux éditions du gros caillou.
Résumé (oui, je vous ai caché le prénom du héros, voir pourquoi en lisant la chronique ^^) :
Et s’il existait sous nos pieds un monde où vivent, oubliés de tous, des enfants laissés pour compte ?
Pour ????? et ses frères du clan des Porte-Fer, lorsqu’une série de meurtres bouleverse la tranquillité de la ville et de ses habitants, c’est la fin de l’insouciance.
Alors que les policiers se saisissent de l’affaire, ????? nous conte une tout autre histoire…
Une fable sombre où les victimes ne sont pas celles qu’on imagine.
Style
Rentrons directement dans le vif du sujet : Ça passe ou ça casse. Pour moi, ce roman fait partie de la catégorie de ceux dont les auteurs ont un style unique, avec de la poigne, une maîtrise de la langue et des figures de style, mais qui pour autant ne rentre jamais dans une case classique. Des auteurs qui savent écrire, qui en jouent et qui proposent une expérience dont eux seuls ont le secret.
À cette image, j’appelle des livres comme Neighian de Louise Jouveshomme, Sauvage de Joan Mickelson ou encore les romans d’Alain Damasio. Hippolyte Leuridan-Dusser prend sa place dans cette liste avec force. Ça m’a demandé parfois de relire les phrases, ça m’a demandé de comprendre, mais surtout de ressentir les mots, mais c’est ce qui rend cette lecture si profonde.
« Les gens tournent autour de l’arbre comme si c’était leur totem. Ces jours de marché sur la place, les familles sont de sortie. Qu’on soit occupé à compter, à regarder, à toucher, à sentir, à parler pour ne rien dire, à penser à ce à quoi pensent les passants (qu’est-ce que j’en sais, de ce à quoi ils peuvent penser ?), je peux le comprendre. Qu’on passe vite, qu’on ne nous regarde pas, soit, on a l’habitude.C’est même comme ça qu’on vit, nous autres, dans la rue. On vit d’indifférence. Que les gens de la surface fassent dix fois le tour de la place avant de nous lâcher un regard, d’accord. L’indifférence quotidienne, l’oubli malheureux, d’accord.
Mais ce machin ? » Page 13
Univers
Lyon, les égouts, la ville, les bas-fonds, un platane, une morgue sous un hôpital psy.
Roman à l’univers contemporain qui dépeint le moche avec beauté, mais aussi le moche tout court.
Des enfants laissés pour compte et un imaginaire pour survivre. Voilà une autre des forces du récit, qui classe ce livre dans une collection imaginaire. Rien de réellement fantastique, ou peut-être que si ? Des histoires, des vérités de notre cerveau, quelque chose de flou, en constant mouvement qui crie des vérités sourdes à ses protagonistes, mais aussi à ses lecteurs.
L’univers est concret, mais s’il y avait plus ?
Histoire
Une série de meurtres en pleine ville bouleverse le quotidien de ses enfants invisibles qui logent dans les égouts, dans ce qu’ils appellent « le gruyère », leur maison. D’un côté, la police et son enquête, jeune, prometteuse et aux passés qui ne s’oublient jamais, qui refont toujours surface. De l’autre, un enfant, un adolescent, un humain, peut-être un bonobo, quelqu’un dont l’identité n’a pas d’importance, n’en a plus et souffre de ça, qui veut comprendre, protéger ces victimes du dessous, celles qui subiront les conséquences en domino. Donner son nom, c’est rendre visible l’invisible et dans une chronique, c’est bien trop tôt, c’est ne pas rendre justice à ce qu’un prénom signifie et à ceux qui l’utiliseront dans le récit, c’est pour ça que je vous l’ai caché dans le résumé.
L’enquête ira loin, n’aura pas peur d’émouvoir et de dégoûter, voire pire. Elle est cohérente, de plus en plus sombre, surprenante aussi. Et pourtant il se dégagera tout de même un espoir, comme un fil. Ce fil que je retiendrais de ma lecture.
Personnages
Les personnages qui représentent la police sont comme le jour et la nuit. Deux hommes qui apprendront l’un de l’autre pour résoudre une enquête comme Lyon n’en a plus eu depuis qu’elle n’est plus la capitale du crime. Ils restent assez neutre pour se mettre dans la peau d’un enquêteur nous aussi, mais on ressent la force du passif d’un des deux.
Notre enfant des rues à plus d’intimité, sa construction est touchante et déchirante et je crois pouvoir dire qu’il est le cœur du récit, l’âme aussi. Une personnalisation avec son lot de jalousie, de tristesse, de rêve, de responsabilité qui est profondément marquante et dont l’ambiance reste au fond de nous pour grandir en tant qu’humain.
« Encore une fois, y a pas plus menteur qu’un gamin qui veut vous faire plaisir. » Page 77
Conclusion
Une lecture sociale qui m’a sortie de ma zone de confort, mais qu’est-ce que ce renouveau fait du bien à ma bibliothèque !
Je le recommande à ceux qui veulent de la diversité, du style, de sombre, de l’âme. Même s’il peut être dur dans ses thèmes abordés, avec une révélation de fin que je n’avais pas vue venir et qui est assez horrible, j’ai beaucoup aimé, il m’a beaucoup touché et il trouvera son public.
Serez-vous le sien ?
Les cartes de Tahsin
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